L’ASSOCIATION POUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE D’AIGURANDE(ASPAig) |
Aigurande est, depuis l’antiquité, une ville frontière, comme l’indique l’étymologie de son nom, dont l’origine est probablement gauloise.
Elle est bâtie sur un plateau de roches métamorphiques primaires, orienté est/ouest, (le plateau d’Aigurande) ; il est l’un des confins septentrionaux du Massif Central, sur lesquels est venu s’appuyer le Bassin Parisien ; on trouve, lorsque l’on en descend vers le nord, la succession des dépôts sédimentaires secondaires. Ce relief domine la contrée ; il sépare les bassins de l’Indre au Nord et des deux Creuses au Sud et il est un château d’eau où naissent une multitude d’affluents de ces rivières ainsi que l’Indre elle-même ; il constitue une frontière naturelle dont les peuples ont fait, au cours des âges, la limite de leurs territoires.
Aigurande s’est développée de part et d’autre de la ligne de faîte du plateau, là où l’altitude atteint quatre cent trente-neuf mètres, mais où le relief est assez arrondi pour y faire passer des routes. De cette position culminante la vue s’étend, lorsque l’on s’élève au-dessus de la végétation, à plus d’une trentaine de kilomètres : vers le Sud on découvre, au-delà des vallées des deux Creuses, les trois cornes de Saint-Vaury et les Monts de Guéret, et, par temps très clair, la chaine des Puys ; au Nord, le regard se perd dans les ondulations du Boischaut que George Sand appelait la Vallée Noire et qu’elle considérait – en toute modestie – comme « un des plus beaux paysages au monde ». Nous sommes, en effet, au milieu d’un pays de bocage avec des bois et des prairies, entourées de haies appelées les « bouchures », et souvent plantées de chênes ou de pommiers ; tout cela dessine un décor vallonné, harmonieux et reposant.
La frontière linguistique qui partageait la France en deux parties : langue d’oc au sud et langue d’oïl au nord, passait par Aigurande. Les patois tendent à disparaître, mais les anciens se souviennent que le dialecte marchois, bien différent du parler berrichon, était quasi incompréhensible pour un non initié.
1)- L’ANTIQUITE : Plusieurs indices témoignent d’un peuplement ancien autour d’Aigurande, tels les outils préhistoriques découverts dans plusieurs communes voisines et les dolmens dont il reste encore quelques beaux spécimens dans la contrée. A l’époque gauloise, sur la crête du plateau d’Aigurande passait la frontière entre deux peuples : les Bituriges Cubi au Nord et les Lemovices au Sud. Il est permis d’imaginer que le bourg qui allait devenir Aigurande (comment s’appelait-il à l’époque : Igoranda, Igorandis, Eguiranda, Ewuranda, Ewiranda, Equoranda ?) s’est développé autour d’un poste frontière situé à un carrefour de routes dont la principale était sans doute le chemin direct reliant Avaric (ou Avaricum qui allait devenir Bourges), la florissante capitale des Bituriges, au chef-lieu des Lemovices (qui, à l’époque gauloise, était l’oppidum de Villejoubert, situé sur la Vienne, à l’Est de l’actuelle Limoges).
Si César, avec ses légions romaines, a envahi la Gaule et est venu, au printemps 52 avant JC, prendre Avaric, dont il écrivait que c’était une des plus belles villes de la Gaule, c’était pour des raisons économiques : les Romains voulaient s’emparer d’un pays prospère, de ses savoir-faire, de ses mines et de ses routes commerciales. Avaric tomba après un siège acharné de 25 jours, et fut mise à feu et à sang.
Le colonisateur a établi la « pax romana » pour quatre siècles en respectant une grande partie de l’organisation des Gaulois et en leur laissant une grande autonomie : le pays des Bituriges devint la « civitas Biturigum », le pays des Lemovices devint la « civitas Lemovicum » et Aigurande était sur la frontière entre les deux. Avaricum fut reconstruite et chez les Lémovices fut fondée Augustoritum qui allait devenir Limoges.
Lorsque le christianisme se développa dans la Gaule romaine, les circonscriptions religieuses épousèrent les limites administratives des « civitates » et Aigurande se retrouva également à la limite des deux diocèses de Bourges et Limoges.
2)- LE MOYEN ÂGE : au 5ème siècle, les invasions barbares et la chute de l’Empire romain furent le début d’une période agitée qui dura jusqu’au 10ème siècle et pendant laquelle se mit en place le régime féodal.
Au 5ème siècle, Aigurande fut incluse dans le royaume Wisigoth (qui comprenait le quart sud-ouest de la France et une grande partie de l’Espagne actuelles) jusqu’à ce que Clovis, à la tête des Francs, batte en 507 l’armée wisigothe à Vouillé puis la repousse au-delà des Pyrénées. Aigurande passa sous l’influence franque et eut affaire à différents suzerains, au gré des luttes et des partages successifs. Mais elle resta la plupart du temps à la frontière de pays ou de royaumes différents, et se retrouva finalement à la limite sud de la puissante seigneurie de Déols qui régnait sur tout le Bas-Berry. Au sud de la terre déoloise se trouvait la Marche, création féodale établie aux dépens du Limousin. Ainsi, Aigurande était ville frontière entre deux territoires féodaux qui allaient devenir les provinces du Berry et de la Marche pendant tout l’ancien régime.
Le Moyen-Âge fut encore, malheureusement, par la suite, une période agitée. En 1152 survint un événement qui allait être source de malheurs pour la France pendant plusieurs siècles. Aliénor, l’héritière du duché d’Aquitaine et du comté de Poitou (son domaine s’étendait de la Loire aux Pyrénées) obtint l’annulation de son mariage avec Louis VII, roi de France, et épousa Henri Plantagenêt, duc d’Anjou, du Maine et de Normandie, qui devint, en 1154, Henri II roi d’Angleterre. Celui-ci s’imposa alors comme légitime possesseur des fiefs d’Aquitaine, dont faisaient partie la seigneurie de Déols et la Marche ; Aigurande passa ainsi sous domination anglaise. Le roi de France ne pouvait bien sûr pas tolérer une telle situation et entra en guerre pour récupérer sa suzeraineté. Ce fut le début d’une période de troubles ; nous savons peu de choses sur le destin d’Aigurande dans ces guerres :
En 1199, elle eut à soutenir un siège dont nous ne connaissons pas les protagonistes.
En 1200, le traité du Goulet, entre Philippe-Auguste et Jean-sans-Terre, rattachait le Berry à la couronne de France et la Marche à celle d’Angleterre. Mais Philippe-Auguste et ses successeurs ne tardèrent pas à imposer progressivement leur autorité sur une grande partie du domaine des Plantagenêts, et en particulier sur la Marche.
Au début du 14ème siècle, les Plantagenêts ne possédaient plus, en France, que la Guyenne, autour de Bordeaux ; le royaume de France, peuplé de 16 à 17 millions d’habitants était prospère et regardé avec envie par les souverains anglais, qui entrèrent en guerre en 1337, prenant pour prétexte leur droit à la couronne de France après la mort (en 1328) de Charles IV le Bel qui ne laissait pas d’héritier mâle. Ce fut le début de la guerre dite de cent ans (1337-1453). Là aussi, nous savons peu de choses sur ce qu’il advint d’Aigurande pendant cette longue suite de conflits.
En 1453, à la fin des hostilités, les Anglais n’avaient plus, dans le royaume de France, d’autre possession que Calais.
Le Moyen-Âge est la période pendant laquelle Aigurande est devenue une cité fortifiée, avec une église, et plusieurs monuments maintenant disparus : un château, plusieurs chapelles, etc., que nous allons décrire au paragraphe suivant.
3)- DU SEIZIEME SIECLE A LA REVOLUTION : Il existe une description détaillée (un terrier), avec un plan (ci-joint) d’Aigurande en 1582. Partant de là, nous allons parler de son organisation administrative, de l’évolution de la ville, de ses monuments et de ses habitants. Voyons d’abord comment la situation frontalière de la ville et l’héritage féodal avaient conduit à une situation administrative qui n’était pas des plus simples.
3-1)- Un découpage complexe hérité de la féodalité : L’agglomération d’Aigurande, aujourd’hui dans une seule commune, s’étendait sur deux provinces, deux diocèses, trois paroisses et six seigneuries.
Deux provinces : le Berry et la Marche. La frontière était la ligne de faîte qui court de l’avenue de la République à l’avenue George Sand actuelles, en passant par le Champ de Foire et la place de la Promenade.
Deux diocèses : Bourges et Limoges. La limite entre les deux a d’abord été la frontière entre les provinces puis (à une époque qui n’est pas connue avec précision) les deux seigneuries d’ « Agurande en la Marche » et d’ « Agurandette », ont été rattachées à la paroisse d’ « Agurande en Berry » et au diocèse de Bourges. Au sud, côté marchois, la paroisse d’Aigurande était limitrophe des paroisses de Méasnes et Lourdoueix-Saint-Pierre.
Six seigneuries :
- sur le versant berrichon, une seule seigneurie : celle d’ « Agurande en Berry », la plus étendue, qui couvrait la partie de la commune actuelle d’Aigurande située autrefois dans le Berry et une partie de Montchevrier.
- côté marchois, deux petites seigneuries qui avaient, au 16ème siècle, très peu d’habitants :
- « Agurande en la Marche » : à peine 5 hectares délimités par l’actuelle avenue de Verdun, la rue de la Marche, le Champ de Foire et la place de la Promenade.
- « Agurandette » : un peu moins de 7 hectares, au sud de l’avenue George Sand, entre l’avenue de Verdun et le Merin.
- ces trois seigneuries étaient limitrophes de trois autres fiefs marchois : Marmeron, Vot (dont l’orthographe est devenue Vost) et Etignières.
Les trois seigneuries d’Aigurande : Agurande en Berry, Agurande en la Marche et Agurandette appartenaient au même seigneur ; mais il avait deux suzerains différents en Berry et en Marche, et chacune avait ses propres fiefs (ainsi, Agurandette avait comme vassaux les seigneurs de Malval et de Moutier Malcard. Et la seigneurie de Vot relevait de la baronnie de Malval). Elles ont appartenu successivement à :
- La famille de Déols jusqu’à ce que Denise de Déols, seule héritière encore vivante, épouse, en 1189, André de Chauvigny.
- la Maison de Chauvigny jusqu’au début du 16ème siècle.
- la famille Bourbon-Montpensier jusqu’à la mort, le 5 avril 1693, de Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, nièce de Louis XIII et cousine de Louis XIV.
- l’héritier de la duchesse de Montpensier, son cousin le duc Philippe d’Orléans, s’empressa de vendre, pour payer des dettes, une partie des biens reçus, dont les 3 seigneuries d’Aigurande, à la famille de Brégy
- de 1765 à la Révolution, Marie d’Argier veuve d’Antigny, Aigurandaise de naissance.
Les justices : Chaque seigneurie avait sa justice. Les officiers de justice d’Agurande en Berry suivaient la coutume du Berry et dépendaient du grand bailliage royal de Berry à Issoudun (il passa plus tard à Châteauroux) ; ceux des seigneuries marchoises suivaient la coutume de la Marche et dépendaient de la sénéchaussée royale de la Haute-Marche à Guéret (les mots bailliage et sénéchaussée sont synonymes, le premier s’employant dans les pays du nord, le second dans les pays du sud et de l’ouest ; nous avons vu qu’Aigurande était aussi sur une frontière linguistique). Les deux coutumes présentaient des différences importantes, en particulier en matière d’héritage et de mariage. Les officiers de justice des trois seigneuries d’Aigurande étaient les mêmes et devaient avoir quelques difficultés à s’y retrouver. Et les Aigurandais qui déménageaient d’une seigneurie dans l’autre pouvaient avoir parfois quelques surprises… Le juge de Vot venait tenir ses assises dans « la maison du Limosin » située en haut de l’actuelle rue de la Marche, à deux pas d’Agurande en Berry.
Les impôts : les habitants de l’ancien régime se plaignaient (déjà…) de la complication et de la lourdeur du régime fiscal qui leur était imposé. Ils devaient payer des taxes ou s’acquitter de corvées pour le clergé, le seigneur, le roi,… Le régime variait d’une province à l’autre et dépendait aussi de la seigneurie.
Vers 1220, Guillaume I de Chauvigny accorda la franchise à toute la paroisse d’Aigurande, ce qui correspondait probablement à plus d’autonomie aux habitants pour la gestion de leur paroisse en même temps qu’une réduction de taxes.
L’administration fiscale mise en place par les rois de France était la suivante : Aigurande en Berry était rattachée à la recette de La Châtre et à l’élection du Berry (dont le siège était à Bourges), tandis que les seigneuries marchoises étaient rattachées à la recette et élection de la Marche à Guéret. Le montant des impôts était fixé par chaque Election. Les Aigurandais, en contribuables avisés, savaient tirer parti de cette division de leur ville en deux circonscriptions financières, par exemple en établissant domicile du côté le plus favorable. En 1587, le roi Henri III, à la demande du duc de Montpensier, rattacha Aigurande en Berry à la recette de Guéret et à l’élection de la Marche : ceci seulement pour les impôts directs. Mais Aigurande en Berry restait soumise à la gabelle, l’impopulaire taxe sur le sel, alors que la Marche s’était rédimée de cet impôt en 1553 et en était dispensée. Autant dire que la contrebande allait bon train et que la brigade de « gabelous » (les douaniers – armés – de l’époque) établie à Aigurande avait fort à faire avec les faux-sauniers (les contrebandiers). Françoise Chandernagor, entre autres, évoque ces luttes, et les émeutes durement réprimées qu’elles ont parfois entrainées, dans son roman : L’enfant des lumières.
C’est un peu avant 1680 que, à la demande de la grande Mademoiselle, Aigurande en Berry fut également dispensée de la gabelle.
3-2)- Description d’Aigurande au 16ème siècle et son évolution jusqu’à la Révolution : Agurande en Berry était, depuis le Moyen-Âge, une ville fortifiée. La partie intra-muros n’était pas très étendue, comme le montre le plan joint (Source : Gabriel Martin : Aigurande depuis l’époque gauloise jusqu’à nos jours – P. Amiault, Imprimeur-Editeur – 1905). Les murs, entourés de fossés suivaient le tracé : nord de la place de la Promenade, rue des Fossés-Saint-Jean, Grand-Place, église, rue du Berry (que les Aigurandais ont longtemps appelée également, rue des Fossés). Deux portes donnaient accès à cette place forte : au sud, en haut de la Grand-rue, la porte Saint-Jean, avec tours et pont-levis, et au nord-est la porte Gayet à l’emplacement actuel de la Grand-Place. Au 16ème siècle, les fortifications, qui n’étaient plus entretenues, étaient en mauvais état. Et, trop à l’étroit entre ses murs, la ville s’étendait de plus en plus dans ses faubourgs : au nord le faubourg du Bordeau, pauvre, habité par des journaliers, au nord-est le faubourg Gayet et entre les deux, les Besges qui, avec sa source, était occupé par les tanneries. Au sud, le faubourg Sainct-Jehan, le plus vaste, prolongé par Agurande en la Marche. Les fortifications devinrent progressivement des propriétés privées avant de disparaitre complètement au 19ème siècle.
Voyons maintenant les principaux monuments et essayons d’esquisser leur histoire : leur origine, pas toujours connue avec précision, est moyenâgeuse.
L’église Notre-Dame : sa nef, voutée d’ogives avec formerets, a été construite en granit au 13ème siècle, en bas de la ville, à la place d’un ancien sanctuaire roman, dont quelques parties en bon état ont pu être conservées (mur sud des 1re, 2e et 4e travées). L’extérieur de cette nef, étroite, sans transept et à chevet plat, a, avec ses contreforts massifs, une allure de forteresse, comme plusieurs églises de la contrée. Elle a été fortifiée, probablement pendant la guerre de cent ans. On peut encore voir, au pignon du chevet, une bretèche montée sur mâchicoulis.
Plusieurs ajouts ont contribué, en grande partie après la guerre de cent ans, à rendre l’édifice moins austère. La grande fenêtre trilobée, au-dessus de l’autel, a été percée ou modifiée au 15e siècle. Six chapelles latérales ont été ajoutées entre le 14ème et le 16ème siècle : quatre au nord et deux au sud ; elles étaient financées par les riches familles et leur ont servi de sépulture jusqu’en 1776. Le clocher, qui donne à l’église son allure originale, a été érigé (ou reconstruit ?) au 16ème siècle, dans le prolongement occidental de la nef (mais pas exactement dans le même axe) ; sa tour, carrée dans sa partie inférieure, est octogonale au-dessus du toit de la nef de même que le dôme et sa lanterne ; son rez-de-chaussée et son premier étage avaient, à l’origine, une voûte ; elles ont toutes les deux disparu (effondrées ou démolies) et ont été remplacées par une énorme charpente de bois qui soutient la tribune et les cloches. La tour est flanquée, au nord, d’une tourelle pour l’escalier (reconstruite en 1855 en même temps qu’une consolidation du clocher). La grande porte ogivale de l’église a été mise en place à l’ouest de la tour lors de sa construction. Quant à la petite porte, ogivale également, située au sud de la 4ème travée, à l’usage du château, elle date du 13ème siècle.
De nombreux travaux d’entretien ou de modifications ont été réalisés depuis sa construction, en particulier au 19ème siècle pour réparer les nombreuses dégradations de la Révolution. Le clocher, source de dépenses élevées et imprévues pour la Municipalité a encore dû être récemment consolidé.
Le château : il était juste au sud de l’église. Au 16ème siècle, il était déjà en ruine et loué à des particuliers qui en ont fait une carrière de pierres et il a progressivement disparu. A une douzaine de mètres à l’ouest du château une belle tour carrée, de 6,70 m de côté, avec un escalier à vis de 80 marches, faisait l’admiration des Aigurandais. Elle a servi de prison et d’auditoire de justice. Elle a été démolie dans la 2ème moitié du 19ème siècle, pour faire passer l’actuelle rue de l’Eglise.
L’hôtel-Dieu, dans l’actuelle rue Casse-Cou, hébergeait les malades pauvres jusqu’au 17ème siècle.
La halle, financée par trois Aigurandais, avait été bâtie en 1476, sur l’emplacement de l’actuelle place du Marché. Elle a été démolie au 19ème siècle. L’actuelle place du marché était partagée en deux par la halle prolongée par un alignement de maisons qui ont également disparu : une partie en 1887 et le reste en 1929.
Le cimetière et ses édifices : l’actuelle place de la Promenade était l’emplacement du cimetière jusqu’en 1779. Le nouveau cimetière, encore en service aujourd’hui, a été ouvert et béni en 1780, dans l’ouche au Peu. Il y avait dans cet ancien cimetière, trois monuments moyenâgeux :
- la grande et belle chapelle Sainct-Jehan : elle était le siège d’une vicairie et d’une confrérie. Elle servit au culte jusqu’à la Révolution où elle fut pillée, saccagée puis vendue « au profit de la nation ». Elle servit un temps de logement, fut rachetée par la Municipalité en 1811 pour en faire la maison commune et fut finalement démolie en 1834.
- la petite chapelle Saint Mathurin : en 1735, elle menaçait ruine et fut abattue.
- le lampier ou lanterne des morts, se tenait au milieu du cimetière, entre les deux chapelles ; cet édifice rappelait aux passants le devoir de prier pour les trépassés ; l’usage s’était établi – et se maintint jusqu’à la Révolution – de tenir allumé ce lampier du 27 au 29 octobre de chaque année (autour de la Saint Simon et Saint Jude du 28 octobre). Les Aigurandais tenaient beaucoup à cet édifice. Quand le cimetière fut désaffecté, il fut question d’utiliser une partie de son emplacement pour y bâtir un collège, dont la création avait été votée en 1770 ; les habitants demandèrent solennellement que l’on conserve le lampier et la croix de Saint-Michel qui se trouvaient dans l’ancien cimetière. Malheureusement, quelques révolutionnaires en décidèrent autrement, et pendant la nuit du 11 au 12 prairial an III (30 au 31 mai 1795), le lampier et toutes les croix de pierre du cimetière furent démolis.
Il fut décidé qu’aucune construction ne serait faite à l’emplacement de l’ancien cimetière ; l’urbanisation à son pourtour s’est poursuivie pour devenir la place de la Promenade, telle que nous la connaissons.
Agurande en la Marche encore peu habitée au 16ème siècle, est devenue par la suite la partie la plus richement peuplée de la ville.
Le quartier à l’emplacement du futur champ de foire : était, au 16ème siècle, un chemin entouré d’ouches et de granges, avec, en son point le plus élevé, la « Mothe aux ventz » qui était probablement une ancienne motte féodale (un tertre surmonté, au début du Moyen-Âge, d’un fort en bois). Il est devenu par la suite une place publique où se tenait la foire des chevaux, et autour de laquelle se bâtirent quelques maisons, alors que le Seigneur avait fait, sur la motte, plusieurs parcelles qu’il louait. Ce n’est qu’au 19ème siècle que le champ de foire prit sa physionomie actuelle. Le jardin public et les courts de tennis actuels, aménagés au début des années 1950 et dont le niveau est supérieur à celui de la chaussée, sont probablement l’avatar de la « Mothe aux ventz ».
Il y a eu sur le champ de foire, où se tenait, lors des foires bimensuelles, un marché aux bestiaux où l’on venait de loin :
- une fosse pour faire boire les bêtes, entourée de grilles et de barres pour les attacher : elle a été supprimée au printemps 1950.
- un quai pour charger les bêtes dans les voitures de transport (d’abord hippomobiles puis automobiles)
- un poste de pesage.
Les Aigurandais : la campagne aigurandaise était couverte de champs et surtout de prairies et de nombreuses forêts. L’économie locale dépendait en grande partie de l’élevage et de la transformation du bois. On trouvait à Aigurande des cultivateurs/éleveurs avec leurs journaliers, des bûcherons, et, en ville, des tanneurs, des artisans, des marchands (28 « prudents hommes » dans la description de 1582), des notaires (4 en 1582) et leurs employés, des fonctionnaires (clercs catholiques, gardes, justices, fisc, etc.). Le commerce de bétail, cuirs, bois, etc. y était florissant et on venait de fort loin aux foires.
4)- LA REVOLUTION ET LE DIX-NEUVIEME SIECLE : lorsque, en 1789, les trois ordres durent se réunir pour dresser les cahiers de leurs doléances, Aigurande en Berry envoya quatre députés à Châteauroux, alors que les quartiers marchois envoyèrent les leurs à Guéret. Dans leur liste de doléances figurait le souhait que la ville d’Aigurande soit entièrement rattachée au Berry (et non plus à la Marche) aussi pour le paiement des impôts (tout en demandant que ces impôts soient modérés).
En décembre 1789, il fut demandé à l’Assemblée nationale, que les parties marchoises de la ville lui soient rattachées. Ce vœu ne fut pas complètement exaucé lors de la création en 1790, du nouveau découpage administratif et de la création des départements. Il fallut attendre la loi du 22 juillet 1847 pour que tous les quartiers de la ville encore dans la Creuse lui soient rattachés, et que la commune d’Aigurande atteigne des limites proches de celles d’aujourd’hui. Quelques modifications mineures leur ont été apportées par la suite.
Au 19ème siècle, l’urbanisation de la ville a donné à Aigurande la structure que nous lui connaissons aujourd’hui : les constructions de maisons ont relié entre eux les différents quartiers et faubourgs en faisant une agglomération homogène. L’économie est restée essentiellement rurale avec un commerce prospère. En 1886, la commune d’Aigurande avait 2472 habitants.
Le collège dont il est question ci-dessus (§ 3-2) a fonctionné sans interruption de 1776 à 1827, bien que des bâtiments neufs n’aient jamais été construits pour l’héberger. C’était, semble-t-il, une école primaire financée par la ville.
L’école des sœurs ou pensionnat Notre-Dame, sur la Grand Place, fondée en 1838, était un établissement d’enseignement catholique pour filles, tenu par des religieuses, jusqu’en 1925. Le bâtiment a ensuite abrité des logements et des salles pour les cours de catéchisme ; en mauvais état, il a été abattu en 1980.
La chapelle et la source de la Bouzanne, dédiés à Notre-Dame de Piété, appelée Notre-Dame de la Bouzanne, font l’objet d’un culte très ancien et sont depuis longtemps un lieu de pèlerinage très fréquenté. La chapelle (route de Cluis) et la statue de Notre-Dame ont été saccagées pendant la Révolution ; elles ont été restaurées au 19ème siècle. Au-dessus de la source de la Bouzanne a été érigé, en 1886, un monument de pierre avec, dans sa partie inférieure, une piéta et, à son sommet, une statue de la Vierge à l’enfant. A proximité, un calvaire a été construit en 1895, et une belle châtaigneraie offre aux pèlerins un lieu de repos ombragé.
Le patronage paroissial Saint-Marc : sa construction, aux alentours de 1900, a été financée par Madame Gauthier, en souvenir de son fils Marc décédé accidentellement. Il était destiné aux jeunes de la paroisse. Il a été, jusque dans les années 1950, un centre d’animation actif. Pendant la guerre de 1914/18, il a été réquisitionné pour servir d’annexe (HB n° 19 bis) de l’hôpital de Châteauroux, avec une capacité de 20 lits.
Rénové récemment, il sert de salles de réunions pour la paroisse (catéchisme, …) et les particuliers.
5)- DEPUIS LE VINGTIEME SIECLE : L’enseignement scolaire gratuit et obligatoire institué en 1881/82 a été un facteur de modernisation de l’agriculture. Et le développement des voies de communication a bénéficié à l’économie aigurandaise. La ligne de chemin de fer de La Châtre à Guéret via Aigurande (où ont été créées la gare et sa place) a été ouverte le premier juillet 1906.
L’électricité, arrivée à Aigurande dès 1914, a également contribué au progrès économique, en même temps qu’au confort dans les habitations.
La guerre de 1914/18 a ralenti, à Aigurande, comme dans toute la France, l’activité. Et notre commune a dû, comme les autres, payer un lourd tribut en hommes. Le Monument aux Morts, avec la statue des Eclaireurs sculptée par Roblot, a été érigé pour en témoigner et inauguré le 7 octobre 1923.
Nous pouvons distinguer, après 1918, deux périodes dans l’évolution d’Aigurande :
5-1)- De 1918 à la fin des années soixante, période prospère et d’initiatives, où des entreprises industrielles créatrices de main d’œuvre ont vu le jour : les carrières et atelier Maître ouvertes en 1924, qui extrayaient et travaillaient le granit à La Graule ; les Abattoirs Régionaux du Centre, structure coopérative créée par la Fédération Paysanne de l’Indre, inaugurée en 1937 et qui passait à l’époque pour l’un des abattoirs les plus modernes de France ; l’imprimerie RAULT fondée en 1934 ; les établissements de confection pour hommes VEYRIER, ouverts en 1956. Pendant cette période, la population aigurandaise est restée stable, voisine de 2 300 à 2 400 habitants, malgré le début de l’exode rural. Elle était de 2 315 habitants en 1968.
Le chemin de fer est resté actif : il a transporté des voyageurs jusqu’en 1941. Le trafic de marchandises était important : on déchargeait à Aigurande engrais, vin, charbon, colis divers et l’on chargeait bestiaux, céréales, bois, granit, … Ce trafic, concurrencé par la route, a baissé après 1945. Le tronçon Guéret-Aigurande a été supprimé en 1952 ; le dernier train entre Aigurande et La Châtre a circulé le 1r juin 1987.
Le commerce restait florissant, les foires bimensuelles, bien qu’en décroissance, attiraient encore beaucoup de monde et la ville, coquette, avec ses boutiques bien achalandées, ses nombreux cafés, et ses maisons bourgeoises donnait l’impression d’une plus grande importance que ses 2 300 habitants ne pouvaient le laisser prévoir.
-La deuxième guerre mondiale a interrompu, de 1939 à 1945, le développement économique. Parmi les jeunes Aigurandais mobilisés en septembre 1939, plus de vingt se sont retrouvés prisonniers en Allemagne où ils ont dû travailler jusqu’à la Libération. En septembre 1939, 858 Strasbourgeois évacués de leur ville frontalière, sont arrivés en train et ont été hébergés à Aigurande et dans les communes du canton. Des logements provisoires : « les baraquements » furent construits pour une partie d’entre eux route de Bonnat. Environ les deux tiers sont rentrés chez eux pendant l’été 1940, les autres après la guerre ; quelques-uns se sont définitivement établis à Aigurande.
De nombreuses personnes ont également fui la zone occupée en 1940 pour se réfugier dans notre commune.
Le 19 juin 1940, l’aviation allemande bombarda Aigurande, ce qui fit une trentaine de morts (5 Aigurandais et des militaires et civils en fuite sur la route) et des dégâts matériels.
En juin 1944, il se forma à Aigurande, autour d’un noyau plus ancien de résistants, un maquis FFI de 140 volontaires qui participa à la libération de l’Indre puis à celle de la France.
5-2)- Depuis les années soixante-dix : c’est le déclin. Une partie des entreprises importantes, victimes d’une concurrence impitoyable ou non modernisées à temps, disparaissent les unes après les autres. Il ne reste plus aujourd’hui comme gros employeur : que l’imprimerie RAULT (85 salariés) et Micro Plan à La Graule (50 salariés). Beaucoup de commerces ont fermé. Les foires ne sont plus qu’un marché local. Le nombre d’habitants baisse régulièrement : il était de 1 932 en 1990 et de 1 521 en 2012. Une des deux écoles primaires, celle de l’avenue George Sand, a été fermée. Aigurande va-t-elle subir le sort du département de la Creuse et de beaucoup de communes du sud de l’Indre qui ont perdu la moitié de leur population au cours du vingtième siècle ?
5-3)- La modernisation d’Aigurande : Pendant ces deux périodes ont été inaugurés de nombreux nouveaux équipements :
-L’adduction d’eau en 1943/44
Puis, après la guerre :
- Le tout-à-l’égout a été mis en place de 1959 à début 1962. Une deuxième station d’épuration a été mise en service en 1977 ; ces deux stations ont été remplacées en 2006 par une station moderne capable de respecter les normes de qualité actuelles pour les effluents.
- En 1948, le nouveau bâtiment des PTT (Poste, Télégraphe, Téléphone), place du Champ de Foire, a remplacé le bureau de la place de la Promenade.
- En 1949, la municipalité a acheté à Madame AVEZAC sa grande propriété du Champ de Foire pour y installer :
* Un ensemble jardin public/courts de tennis/douches publiques/ stade (qui a nécessité de gros travaux de terrassement pour transformer un pré pentu en un beau stade moderne). Le stade a été agrandi de l’autre côté de l’avenue de l’Europe avec la mise en service, en 1982, d’un plateau d’éducation physique.
* Une nouvelle école primaire de garçons, devenue par la suite l’école Jean Moulin et qui a d’abord remplacé celle installée derrière la mairie. Elle est aujourd’hui la seule école primaire de la ville.
- Une école maternelle (qui n’existait pas encore à Aigurande) a été hébergée dans la nouvelle école de garçons (et des bâtiments préfabriqués) à partir de 1952, avant d’aménager dans de nouveaux locaux, avenue de la République, en 1963.
- Une nouvelle salle de cinéma : le Cinéma Moderne, le 28 avril 1950
- Un collège : suite à l’ordonnance du 6 janvier 1959, il a été provisoirement accueilli dans l’école de garçons à partir de la rentrée 1959 avant d’aménager en 1966 dans ses nouveaux locaux où il est devenu le Collège Frédéric Chopin.
- En 1973, un gymnase est venu compléter le stade et un nouveau Centre de Secours a été inauguré (et agrandi en 2000).
- En 1984 : la Maison de l’Expression et des Loisirs avec une salle de spectacle et des salles pour les associations.
- En 1999 la Médiathèque
- En 2003 : un dojo
- En 1985/86 la commune a acheté un grand terrain avenue Maurice Rollinat (puis une extension en 1998), sur lequel ont été bâtis et mis en service successivement :
- Maison de Retraite en 2000
- Crèche/Halte-garderie en 2005
- Maison Médicale en 2007
- Maison des Services en 2007
Enfin, la gestion municipale a évolué et une partie des services a été fusionnée avec celle des neufs communes du canton d’Aigurande au sein :
- En 1980 du SIVOM du Pays de la Marche Berrichonne (qui a, entre autres, ouvert un Syndicat d’initiatives en 1989)
- En 2007, le SIVOM a été remplacé par la Communauté de Communes de la Marche Berrichonne.
QUEL FUTUR ? Aigurande reste aujourd’hui sur une frontière : entre les départements de l’Indre et de la Creuse et entre les deux régions Centre-Val de Loire et Nouvelle Aquitaine.
Elle a plusieurs atouts : des habitants dynamiques, un agréable et pittoresque cadre naturel, une ville plaisante et bien équipée grâce aux efforts des Municipalités et Conseils de la Communauté de Communes successifs (cf. § 5-3 ci-dessus), la relative proximité de voies de communications (autoroutes et chemin de fer), de beaux logements vides, … Saura-t-elle attirer des entreprises qui lui apporteront assez d’emplois pour inverser l’évolution de sa population en décroissance depuis plus de quarante ans ?
Sources : Source principale : Gabriel Martin : Histoire d’une frontière – Aigurande depuis l’époque gauloise jusqu’à nos jours- P. Amiault – Imprimeur-Editeur – 1905Concernant l’église : Louis Lacrocq : L’église Notre-Dame d’Aigurande – Mémoires de la Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse - Tome XXV – Tiré à part – Guéret – 1934.Pour le 20ème siècle : différentes publications, archives et sites web dont :
- Recueil de témoignages : Aigurande pendant la guerre de 1939/45 – ASPAig – 2014/15
- Christian JEAUMEAU : Aigurande-sur-Bouzanne et ses alentours au fil du temps – ASPAig – 2016
- Archives municipales
- Etc.